La solidarité dans le droit international: entre mythe et réalité
Le droit international n’est pas toujours conforme à l’image que l’on veut lui donner, et qu’en donne les internationalistes, qu’ils soient positivistes ou relativistes. Les critères sont relatifs et ne peuvent être tranchés dans un sens ou dans l’autre car il ne s’agit pas de pures visions subjectives. Aussi paradoxal que cela peut paraître, le droit international est tel quel à travers la manifestation des volontés étatiques. Cependant, il est mu par des forces imaginaires, « imaginantes » comme le spécifie Mireille Delmas-Marty, comme la solidarité internationale. C’est notamment le cas dans l’appréhension des défis globaux, notamment des changements climatiques et de ses conséquences. Il tente – quoique difficilement – de concilier le principe classique du consensualisme avec la nécessité d’assurer un certain ordre public au bénéfice de la « communauté internationale », terme qui, encore une fois, dépasse la réalité des relations internationales. Or, c’est ce caractère paradoxal qui constitue un élément moteur de la dynamique propre du droit international (Dupuy P.-M., 2000). En un sens le droit international est en mouvement vers un idéal qui implique la mise en jeu de la solidarité internationale. Nous tenterons d’en décortiquer le sens à travers la place de cette solidarité en matière de lutte contre les changements climatiques.
Un contexte propice à la solidarité internationale
Nous vivons dans un monde qui change. Ce changement est d’autant plus prégnant ces dernières décennies, compte tenu des défis globaux auxquels le monde est confronté, dont la question des changements climatiques. Ces derniers constituent une réelle problématique mondiale, discutée dans ses aspects divers lors du présent symposium. Selon la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques du 9 mai 1992 (ci-après CCNUCC), les changements climatiques sont les « changements de climat qui sont attribués directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale et qui viennent s’ajouter à la variabilité naturelle du climat observée au cours de périodes comparables » (article 1.2 de la CNUCC). Cette problématique touche chaque entité, à tous les niveaux et dans tous les domaines. Autant au niveau local, et régional, mais plus encore, au niveau global. Une réponse commune, coordonnée est rendue nécessaire pour appréhender de manière concertée, dans une forme de gouvernance globale, les effets des changements climatiques. Dans ce cadre, la question de la solidarité internationale joue un rôle prépondérant dans l’évolution à laquelle le droit international, est appelée à tendre. La solidarité dont il s’agit ici intègre à la fois la conscience de la nécessité de coopérer mais aussi la matérialisation de cette dernière au niveau des instances internationales avec la participation de différents acteurs (États, organisations internationales, organisations non gouvernementales, scientifiques, …). En effet, c’est l’intérêt commun qui est en jeu ; intérêt transcendant l’intérêt de l’ensemble des États, qui le dépasse. La solidarité serait la condition sine qua non pour faire face à de tels défis.
L’évolution du droit international : de la coexistence à la coopération
De manière générale, le droit international avait pour fonction, à ses origines, d’assurer la coexistence entre les États. Face aux défis globaux auxquels le monde a été confronté, cette coexistence était appelée à évoluer, vers la coopération. Elle tend principalement à favoriser l’action collective pour atteindre des buts communs. Ainsi, les États se sont regroupés au sein de structures de concertation et de négociation permettant d’institutionnaliser leur coopération, les organisations internationales. Un certain équilibre a alors pu s’instaurer entre l’intérêt particulier de chaque État et l’intérêt transcendant de l’ensemble.
Cependant, à l’ère où les négociations internationales relatives à la lutte contre les changements climatiques peinent à aboutir à des résultats concluants, la coopération internationale semble « au point mort ». Mais au-delà de la simple coopération internationale, si nous analysons l’état des relations internationales par rapport aux conséquences engendrées par des changements climatiques, le droit international offrirait-il d’autres perspectives ?
La réponse ne peut être négative car si l’on regarde la continuité de l’évolution du droit international, on se rend compte que d’une société internationale, composée d’États souverains, avec un droit diplomatique de coexistence, celle-ci tend vers une « communauté internationale », constituant une unité sociologique, due à l’interdépendance croissante des États pour faire face aux défis globaux, tels les changements climatiques.
La solidarité dans l’inéluctable caractère dialectique du droit international
En tant que juriste en droit international, il me serait difficile de nier la contribution de ce dernier dans la lutte contre les changements climatiques. Ainsi, par exemple, le développement de la soft law permet un plus grand dynamisme du droit international et une certaine souplesse dans la mise en œuvre des mesures adoptées, voire même pourrait faciliter la mise en œuvre de la responsabilité des États en cas de manquement. Cependant, les limites à cette contribution sont inéluctables, dû au caractère encore volontariste du droit international, c’est-à-dire qu’il ne peut être effectif, dans la réalité, que par la volonté des États.
Or, le facteur commun qui peut réconcilier ces deux aspects est la notion de solidarité internationale. La question se pose alors de savoir, dans quelle mesure la solidarité internationale pourrait-être un élément essentiel dans la lutte contre les changements climatiques, et plus concrètement, un moteur d’action internationale, venant fortifier la coopération internationale.
Parler de solidarité en matière de changements climatiques dans une société internationale si hétérogène de nos jours, pourrait relever d’une utopie, d’un mythe, tant les besoins et les intérêts des États divergent et sont difficilement conciliables. . Tantôt l’on considère que c’est à travers l’établissement des règles communes que se manifeste la solidarité internationale ; tantôt, il apparaît que « la règle ne crée pas l’état de dépendance mutuelle où sont les organes solidaires mais ne fait que l’exprimer d’une manière sensible et définie […] » (Durkheim Emile, 1930). Dans la réalité internationale empreinte de bilatéralisme et de réciprocité, il serait intéressant d’aborder la question sous deux aspects, en analysant, tout d’abord, le potentiel normatif de la notion de « solidarité internationale » dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques et, ensuite, son incarnation dans la réalité internationale en tant que moteur d’action internationale.
Le potentiel normatif de la solidarité internationale
Le développement du droit international constitue une opportunité face aux défis globaux auxquels le monde est confronté, notamment en matière de changements climatiques. En tant qu’ensemble de règles régissant les relations entre les États, le droit international s’est développé vers une certaine vision téléologique où la fonction du droit importe plus que la manière dont il est formé ou mis en œuvre. Ceci est dû à une certaine mobilisation – principalement en réponse aux problèmes environnementaux – pour établir des objectifs dans le cadre d’instruments juridiquement non contraignants et au développement de la soft law. Ceci a permis une évolution dans la définition d’objectifs et de buts communs, en laissant une certaine marge de manœuvre, selon les capacités des États dans leur mise en œuvre. On retrouve alors cette conception de la socialité du droit, issue de la formule romaine « ubi societas, ibi ius », où le droit a vocation à connaître les conflits et s’y adapter. En un sens, la normativité pourrait contribuer peu à peu – d’une certaine manière – à une stabilité par rapport aux faits, aux changements, et face à l’imprévision. Si nous prenons l’exemple de la notion de due diligence, d’un standard de comportement celui-ci pourrait constituer un élément important dans la responsabilisation des États dans le respect de leur engagement à atteindre les objectifs et buts communs. . En effet, l’obligation de due diligence implique que soit mise en œuvre les moyens nécessaires que requiert la norme à laquelle elle se réfère selon la capacité des États concernés. Une telle démarche vise cette nécessité d’adaptation constante du droit international face à l’imprévisibilité et la nécessité de précaution face aux changements climatiques.
La solidarité, moteur d’action internationale
D’une part, le tant qu’ensemble de règles régissant les relations entre les États, le droit international, dans sa définition, pose déjà une limite non négligeable : la souveraineté des États. Cependant, avec l’évolution des relations internationales, il est apparu que la coopération entre les États faisait apparaitre de nouvelles formes relationnelles avec l’intervention d’acteurs non-étatiques. Tel est le cas des organisations internationales, des membres de la « société civile » internationale ou du rôle des experts dans l’élaboration des instruments juridiques internationaux. L’intervention de telles entités résulte du fait de l’incapacité des États à faire face aux défis globaux. En effet, le contexte de la coopération internationale proprement dite – donc entre États souverains – rend difficile et lente l’adoption de mesures jugées nécessaires face à des défis complexes tels les changements climatiques. De plus, cette intervention témoigne de l’existence d’un certain degré de solidarité, par la démocratisation et la publicisation des relations internationales, en faisant intervenir ce que l’on pourrait appeler la « société civile internationale »,représentant les intérêts et les besoins de la « communauté internationale. Il en est ainsi, par exemple, en matière de droit de l’environnement, où le rôle des acteurs non-étatiques est important au sein des structures institutionnelles face à l’inaction des États. Tel fut le cas, par exemple, de l’intervention de Greenpeace face à la campagne d’essais nucléaires en 1971, qui a conduit à la controverse internationale concernant le navire Rainbow Warrior pour les essais nucléaires français, en 1985.
Le droit international ne régit donc plus uniquement les relations entre les États, il a une vocation plus large, englobant les relations entre ces derniers et les acteurs non-étatiques. Un tel phénomène s’accompagne indubitablement d’un processus de socialisation du droit international, développant la solidarité internationale, au-delà du simple cercle interétatique.
Conclusion
En définitive, comme le citait René-Jean Dupuy dans un des Cours général de droit international Public de l’Académie de La Haye, dans sa conception même, « la communauté internationale qui apparait de nos jours ne résulte pas de phénomènes harmonistes, de fraternités découvertes encore moins de règlements des différends ; tout au contraire, sa marche contradictoire est produite tout à la fois par des forces de répulsion, de compétition, de contestation et de revendication, comme un jeu de solidarité, de besoins réciproques, de responsabilités mutuelles ». La solidarité internationale pourrait donc être considérée comme un élément directeur de l’évolution du droit international. Sans pouvoir normatif certain, cette notion suscite une réalité à laquelle le droit international ne peut s’affranchir.
Vonintsoa Rafaly est docteur en études européennes et internationales, spécialité en droit de la mer du Centre de Droit Maritime et Océanique (CDMO) de l’Université de Nantes.
Cite as: Vonintsoa Rafaly, “La solidarité dans le droit international: entre mythe et réalité”, Völkerrechtsblog, 15 May 2020, doi: 10.17176/20200515-133427-0.