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La situation en Catalogne

Chronique d’une tentative de sécession avortée

27.11.2017

La déclaration d’indépendance de la Catalogne constitue à n’en pas douter l’expression la plus forte de la crise institutionnelle qu’a connu la Catalogne ces dernières années. Si la question du statut de la Catalogne avait notamment conduit par le passé à l’annulation de l’organisation d’un référendum le 9 novembre 2014 par la Tribunal constitutionnel espagnol, les récents développements appellent une analyse approfondie tant sous l’angle du droit constitutionnel espagnol que du droit international public.

L’inconstitutionnalité de la déclaration d’indépendance du 27 octobre 2017

Si la Constitution espagnole de 1978 affirme en son article 2 qu’elle « reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui la composent et la solidarité entre elles », cette autonomie est précédée par l’affirmation de « l’unité indissoluble de la nation espagnole » de telle sorte qu’il n’est guère surprenant que la résolution adoptée par le parlement catalan le 27 octobre 2017 affirmant la République catalane comme Etat indépendant et souverain ait déclenché les foudres de Madrid. En effet, quelques heures plus tard, le gouvernement espagnol a mis en œuvre l’article 155 de la Constitution au terme duquel « si une Communauté autonome ne remplit pas les obligations que la Constitution ou d’autres lois lui imposent ou si elle agit de façon à porter gravement atteinte à l’intérêt général de l’Espagne, le Gouvernement […] pourra avec l’approbation de la majorité du Sénat prendre les mesures nécessaires pour la contraindre à respecter ses obligations ».

Saisi de la question de la constitutionnalité de la déclaration d’indépendance et de la résolution adoptant un processus constituant, le Tribunal constitutionnel espagnol a le 8 novembre 2017, sans surprise, déclaré inconstitutionnel ces deux textes et qualifié l’action du parlement catalan de grave atteinte à l’Etat de droit. Le même jour, le Tribunal constitutionnel a prononcé l’inconstitutionnalité de la loi catalane de transition juridique et de fondation de la République du 8 septembre 2017  ayant pour objectif de rompre avec l’ordre constitutionnel et a rappelé la souveraineté et l’unité nationale de l’Etat mais aussi la suprématie de la Constitution espagnole. Néanmoins, cette seconde décision, n’en est pas moins intéressante, dès lors qu’elle se prononce de façon assez singulière sur le droit international public et le droit à l’autodétermination en particulier.

La déclaration d’indépendance au regard du droit international

La déclaration d’indépendance du 27 octobre 2017 ne pose pas seulement une question de droit constitutionnel mais relève également du droit international public dès lors que cette déclaration d’indépendance est constitutive d’un phénomène successoral. L’unicité de ce phénomène en Catalogne par rapport aux vagues successorales telles que celle liée à la décolonisation ou celle liée à la « décommunisation » en accroît encore son intérêt.

Il convient tout d’abord de se pencher sur la situation en Catalogne du point de vue du droit à l’autodétermination. On rappellera que « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » figure dans la Charte des Nations Unies, de même que dans les articles 1er du pacte international relatif aux droits civils et politiques et du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. On pourra donc s’interroger sur la pertinence de la décision du Tribunal constitutionnel espagnol du 8 novembre 2017 relative à la loi catalane de transition juridique et de fondation de la République du 8 septembre 2017 affirmant que le droit à l’autodétermination n’est pas un fondement du droit international. Cette prise de position du Tribunal constitutionnel semble faire écho au manifeste signé par de nombreux professeurs de droit international public espagnols fin septembre 2017 et par lequel ils dénonçaient le referendum organisé en catalogne.

Si l’on peut bien évidemment comprendre l’émoi que suscite le processus d’indépendance enclenché par la Catalogne et préciser qu’il ne s’agit pas ici d’un processus lié à une vague de décolonisation ou en lien avec des violations graves et répétées des droits de l’homme et des minorités, il semble difficile de circonscrire le droit à l’autodétermination aux seuls cas de décolonisation ou à une sécession-remède. Pour autant, même lorsqu’il était question de la décolonisation, le principe de l’intégrité territoriale avait été rappelé (voy. par exemple la résolution AGNU 1514 XXV). D’un autre côté, toutefois, l’avis sur la conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo rendue par la Cour internationale de Justice en 2010 nous conduit dans les subtilités linguistiques du droit international dès lors que la déclaration d’indépendance n’avait violé aucune règle du droit international, sans pour autant que la Cour n’affirme un droit de sécession. Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que de nombreux Etats ont reconnu très rapidement le Kosovo et que pour nombre d’entre eux le droit à l’autodétermination avait servi de fondement à la légitimation de la déclaration d’indépendance. Néanmoins au regard de la situation spécifique liée à l’ex-Yougoslavie beaucoup d’Etats avaient pris le soin de qualifier la situation de situation sui generis.

Cependant dès lors qu’un phénomène successoral bouleverse très souvent profondément les relations internationales de telle sorte que, par-delà les classifications existantes, tout phénomène successoral peut en lui-même être qualifié de sui generis comme le laissait à penser le professeur O’Connell dans un article publié en 1979 dans lequel il constatait la vanité de toute tentative de systématisation juridique en matière de succession d’Etats, il semble qu’il puisse également en aller ainsi de la situation en Catalogne et que le précédent du Kosovo ne puisse pas être balayé d’un simple revers de manche.

Conclusion

Au moment de conclure nos brèves observations, on ne peut s’empêcher de relever que si les modalités de la tenue du referendum qui a précédé la déclaration d’indépendance du 27 octobre 2017 peuvent prêter à débat, on relèvera que la résolution en elle-même été adoptée par un parlement élu. Aussi, si l’on comprend aisément l’approche basée sur le droit constitutionnel défendue par Madrid, on ne peut toutefois pas ne pas s’interroger sur les limites de celle-ci quand bien même la notion de peuple catalan a été déclarée inconstitutionnelle par le Tribunal constitutionnel espagnol en 2010, dès lors que l’élection, expression même de la démocratie, a été interdite.

Par ailleurs, on peut supposer que c’est pour partie une logique de peur d’un précédent et de propagation des velléités indépendantistes en Europe qui a conduit à la non-reconnaissance d’un Etat catalan. Là encore, s’il n’est pas question de réécrire l’histoire récente, on peut se demander quelle aurait été la situation, si comme dans le cas du Kosovo, de nombreux Etats avaient commencé à reconnaître la Catalogne comme Etat. La mise en perspective du cas du Kosovo avec celui de la Catalogne implique également de s’interroger si la perception doctrinale largement partagée d’une conception déclarative de la reconnaissance, n’est pas ici de facto écornée.

Enfin, pour terminer on indiquera que dans les faits en acceptant le 31 octobre 2017 le principe de la tenue de nouvelles élections régionales en décembre 2017, l’ex-président du gouvernement catalan, n’en a pas moins acté l’échec du processus d’indépendance né de la déclaration du 27 octobre 2017 alors même que le débat sur l’accès à l’indépendance via un phénomène successoral non-interdit par le droit international perdure.

 

Dr. Geoffrey Juchs, DEA en droit international et organisations internationales (Paris 1, Panthéon-Sorbonne), Master professionnel en droit maritime et des transports (Aix-en-Provence), wiss. Mitarbeiter an der juristischen Fakultät der Ruhr-Universität Bochum.

 

Der Autor hat auf JuWiss einen weiteren Beitrag zum das Sezessionsverfahren in Katalonien in deutscher Sprache veröffentlich und stellt sich dort die Frage: Verfassungsrecht vs. Völkerrecht?

 

Cite as: Geoffrey Juchs, “La situation en Catalogne: chronique d’une tentative de sécession avortée”, Völkerrechtsblog, 27 November 2017  doi: 10.17176/20171127-095822.

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Geoffrey Juchs
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